Le récit

Traversée de l’Islande – Terre des extrêmes

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Jour 1 – 22 juillet 2007
Village de Reykjahlíð (lac Myvatn) – Bivouac à Sellond

Journée : 11h – 17h15
Temps : 5h (1h+4h)
Distance : 25 km
Dénivelé : +110m/-40m

Nous voilà, après deux vols, un trajet en bus et quelques kilomètres à pied, arrivés au village de Reykjahlíð, au bord du lac Myvatn. L’après-midi d’hier était normalement consacrée au repos et à une petite mise en jambe avec une balade à vélo. Mais cette balade s’est vite transformée en un petit raid VTT. Nous n’avons pas pu nous empêcher de parcourir les pistes de sables, grimper avec les vélos jusqu’en haut du volcan d’Hverfell pour faire le tour du cratère et sillonner sur une cinquantaine de kilomètres la région pour finir la journée dans l’eau turquoise à 38°C du lagon Jarðböðin.

Sellandafjall

Afin d’alléger chacun de six kilogrammes nos sacs, nous avons prévu d’abandonner la moitié de notre nourriture pour qu’elle nous soit livrée à mi-parcours. Ce matin nous avons enfin réussi à nous en débarrasser, mais néanmoins avec une petite crainte. Nous croisons les doigts pour qu’elle arrive en temps et en heure au point de rendez-vous, au refuge de Nýidalur.

Avant de quitter le village de Reykjahlíð, nous finissons de boucler nos sacs devant la petite épicerie où nous venons d’acheter ce qui nous manquait en nourriture. Et apparemment, nous ne sommes pas les seuls. Marie et Vincent, des Lyonnais que nous avions croisés dans la file d’embarquement à l’aéroport Charles de Gaulle à Paris se trouvent également ici. Lorsque nous nous apercevons que nous avons le même itinéraire, le papotage et les questions n’en finissent plus…

– Votre premier bivouac vous l’avez prévu où ?
– Tu crois que ça passe par là ?
– En combien de jours ?
– Et vous avez quoi à manger ?

Et bien sûr, la question fatidique…

– Combien pèsent vos sacs ?
– Le mien doit faire 35 kg et celui de Marie seulement 25 kg, et les votres ?

– Euh… 15 kg…

Philippe et moi les laissons terminer leurs achats et commençons notre traversée. Nous débutons quinze kilomètres plus au Nord que prévu, ce qui fait que nos premiers pas se font sur le bitume, mais ainsi, nous longeons le lac Myvatn pendant prés de deux heures. Puis, nous quittons la route pour bifurquer vers le hameau de Grænavatn. Normalement le point de départ de notre traversée. Nous avions prévu de dormir à son camping et de commencer à marcher demain, mais un fermier nous apprend qu’il n’existe plus depuis sept ans ! Alors qu’il se trouve toujours sur les cartes !

Bivouac à Sellond

De ce fait, nous décidons de continuer à marcher. Mais avant cela, nous nous chargeons de deux litres d’eau supplémentaires, ce qui nous amène à quatre litres chacun. C’est un peu lourd, mais la zone que nous devons traverser pendant les deux prochains jours est annoncée comme aride. En plus de cela, il a très peu plu depuis un mois et demi, aujourd’hui encore, il fait chaud, nous marchons en t-shirt. Nous sommes tombés sur une année sèche. Cela a ses bons et mauvais cotés Les gués seront mois importants, mais l’eau sera plus rare.

En peu de temps, nous quittons les prairies peu appétissantes où les quelques moutons, bien trop peu nombreux pour appeler ça des troupeaux, marquent la fin de toutes zones habitées. Nous poursuivons sur une piste de sable zigzaguant au milieu de coulées de lave en forme de peau d’éléphant, avec pour compagnie les cris d’un oiseau, quelques moucherons sur le visage et face à nous le mont Sellandafjall culminant à 988 mètres, l’Ayers Rock Islandais, comme l’appelle Philippe. Le reste de la journée n’aura pas d’autre image que celle-ci, mais en aucun cas la monotonie s’installera.

Nous posons le bivouac au milieu de nulle part, donnant ainsi un peu de couleur à ce paysage gris. Il faut dire que nous sommes voyants : tente bleu ciel, housses de sacs à dos jaune vif, vestes rouge tapante, duvets rouge et orange… Nous profitons de cette belle fin de journée en soupant au soleil couchant, soleil qui ne disparait jamais vraiment : il fait clair toute la nuit à cette époque de l’année.

Jour 2 – 23 juillet 2007
Bivouac à Sellond – Refuge de Botni

Journée : 8h35 – 16h20
Temps : 6h (3h25+2h35)
Distance : 24 km
Dénivelé : +155m/-70m

La nuit a été d’un calme impressionnant : le silence absolu. Philippe n’a même pas eu à mettre ses boules quiès. Par contre, l’espace de la tente est fortement réduit avec nos gros duvets en plumes. Il va falloir nous habituer à cette co-habitation rapprochée alors que paradoxalement nous traversons une zone désertique à l’espace qui semble infini.
Nous poursuivons notre route, alternant piste de sable, champs de lave, roches cisaillantes et parfois quelques pâturages à proximité d’une rivière qui s’écoule le long du Sellandafjall. De l’eau ! La zone n’est pas totalement sèche contrairement aux indications que nous avions eues… Nous nous sommes alourdis en eau inutilement ! Nous évitons notre premier gué en sautant de pierre en pierre pour traverser cette rivière.

A midi, nous testons notre ration. Elle sera la même au gramme près pour les quinze prochains jours. Afin de s’alléger au maximum, nous avons préparé une ration alimentaire journalière la plus minime possible mais à la fois suffisamment énergétique, en nous basant sur 3400 kcal/jour. Les repas du midi sont ainsi constitués par personne de :

– 30 grammes beurre
– 100 grammes de pain d’épice
– 50 grammes de saucisson
– 30 grammes de pâte d’amande
– 50 grammes de chocolat

La journée continue à bonne allure et en bonne entente, nous plaisantons toute la journée et les kilomètres passent sans difficultés. En plus de cela, Philippe et moi avons exactement le même rythme de marche. Nous avançons à la même vitesse, nous ressentons le besoin d’une pause au même moment, nous avons faim ou soif au même instant… Et pour couronner le tout, nous sommes habillés à l’identique, de vrai Dupont-Dupond. Ainsi nous arrivons de bonne heure au refuge non gardé de Botni.

Refuge de Botni

Spacieux, confortable, propre, je ne m’attendais pas à trouver un refuge de ce « standing » ici. La première chose que nous faisons en arrivant, c’est de hisser le drapeau Islandais au mat, en espérant qu’il soit plus visible de loin, notamment par Marie et Vincent, car le refuge ne se découvre que sur les derniers mètres. Nous passons le reste de l’après midi à nous reposer, écrire le récit, à discuter avec deux Hollandais qui s’arrêteront près de deux heures. Ils effectuent également une traversée, mais dans le sens Sud-Nord. Le soir, nous nous installons confortablement pour manger notre lyophilisé et notre demi plaque de chocolat avec un thé bien chaud.

Jour 3 – 24 juillet 2007
Refuge de Botni – Refuge de Dyngjufell

Journée : 8h10 – 14h20
Temps : 5h15 (3h30+1h45)
Distance : 21 km
Dénivelé : +255m/-60m

Nous partons « enfin » sous la pluie, le climat est déjà un peu plus Islandais ! Ce matin, la piste zigzague au milieu de champs de lave très agressifs et pas très accueillants. Plutôt que de suivre ce serpentin, nous suivons les indications du GPS et marchons sur une ligne imaginaire, de waypoint en waypoint. Le panorama que nous avons sur 360° est lunaire, une vraie terre de désolation. Parfois nous apercevons une petite touffe d’herbe verte perdue au milieu du sable noir, des roches grises et des gros blocs rocheux aussi coupants que des lames de rasoir, comme s’ils n’avaient jamais connu d’érosion : Paradoxe assez comique pour un pays où il pleut entre quinze à vingt jours par mois.

Pendant notre pause matinale où nous dégustons nos vingt-cinq grammes de cacahuètes, Philippe me dit alors le plus simplement du monde :

– Tiens c’est marrant, l’Ayers Rock est encore devant nous.
– Comment ça, devant nous ? Mais on l’a dépassé hier ! Ce n’est pas possible, il devrait être derrière nous…
– Bah si… Je t’assure, c’est lui.
– Merde ! Mais alors on va dans la mauvaise direction !

Sans même réfléchir, ni même regarder en direction du Sellandafjall, j’allume le GPS et suis la direction qu’il m’indique. Nous nous engageons alors sur l’énorme coulée de lave tranchante que nous contournions et qui, à moins d’être un fakir, est plutôt délicate à passer. Vu l’allure lente à laquelle nous avançons, pour ne pas retrouver chaussures et vêtements en lambeaux, sur cette roche volcanique qui s’étend jusqu’à l’horizon, je me dis que ce passage ne peut pas être le bon chemin… Nous sortons donc de ce terrain miné, pour consulter la carte et se localiser. Finalement, nous étions sur le bon itinéraire, simplement sur un passage en « S » qui nous faisait revenir légèrement vers le Nord…

Après avoir tourné en rond pendant vingt minutes, nous poursuivons notre route à travers un paysage d’ailleurs issu des quatre coins du monde. Le sol nous rappelle la grande barrière de corail, trois pics au loin ont la forme de poupées russes, une montagne perchée sur une butte nous suggère le Mont Saint-Michel et le désert qui nous entoure est à l’image de la région Tibétaine du Kekexili.

Même si la température a commencé à baisser avec notre entrée dans le centre de l’île, nous n’avons pas encore revêtu nos polaires pour marcher. Nous les enfilons seulement pendant la pause du midi pour manger. Il nous faut donc, une fois que nous avons eu notre overdose quotidienne de beurre, les retirer. Ce qui n’est pas très agréable avec cette température. Alors, avant de reprendre la route, je me livre à une série d’échauffements : flexion, extension, flexion, extension… agitation des bras… Lorsque je me retourne pour voir Philippe, je m’aperçois qu’il est également plié en deux, mais lui, c’est de rire…

L’après-midi nous plonge dans un vrai décor de haut plateau Tibétain, le dépaysement est total, les paysages sublimes, montagneux, secs et arides, aux multiples couleurs. Au refuge non gardé de Dyngjufell, après la levée du drapeau islandais, nous sortons les fauteuils de jardin sur la petite terrasse abritée du vent, afin de profiter de ce superbe soleil qui est si rare sur cette île. Il faut dire que nous sommes vraiment chanceux avec la météo. A la lecture du livre d’or du refuge, nous pouvons lire des messages comme : « sale journée », « temps de merde », « on en a chié pour arriver ici », « grosse journée de 10h », « l’Islande c’est dur »… Il y en a des pages et des pages. Tout cela nous fait bien rire, car nous nous étions préparés à affronter tout cela, physiquement, moralement, matériellement… Mais finalement, il en est tout autrement avec ce beau temps, du coup la traversée se fait aisément. Alors, Philippe en rajoute une couche et écrit dans le livre :

– Encore une belle journée de passée en Islande, sous un magnifique soleil. Nous sommes arrivés tranquillement au refuge en début d’après-midi où nous nous relaxons.

Paysage désertique

Puis nous marquons en grand, dans le sable noir, au pied de la colline qui surplombe le refuge ce qui est devenu notre devise : « l’Islande, c’est facile ». C’est aussi un petit clin d’œil à tous ceux que nous connaissons et qui ont souffert du climat Islandais et qui nous ont conseillés et aidés dans la préparation de cette traversée.

De retour au refuge, nous voyons arriver nos deux camarades débarqués en 4×4. Je ne sais où la petite Marie trouve la force de parcourir ses kilomètres de pistes avec son sac à dos qui pèse dix kilogrammes de plus que le mien. Quant à celui de Vincent, il est tellement lourd, que je n’arrive même pas à l’enfiler sur mes épaules…
Il est vingt deux heures quand une personne me réveille. Une petite famille Islandaise vient d’arriver dans le refuge. Avec Philippe, nous sommes du genre à nous étaler et à squatter tous les lits, je dois me lever pour changer de couchette…

Jour 4 – 25 juillet 2007
Refuge de Dyngjufell – Camp de Dreki

Journée : 5h50 – 17h25
Temps : 8h (6h+2h)
Distance : 28 km
Dénivelé : +830m/-720m

Lever à cinq heures du matin. Nous essayons de boucler nos sacs en faisant le moins de bruit possible, mais à quatre, ce n’est pas évident. Il nous faut tout de même à Philippe et moi, trois quarts d’heure pour se préparer, déjeuner et plier bagage. Nous partons les premiers, bien couverts par 0°C et dans un brouillard nous laissant une visibilité très réduite. Heureusement que nous avions fait un repérage de l’itinéraire hier soir.

Aujourd’hui, nous quittons les pistes de 4×4, pour nous orienter sur un sentier qui va nous faire grimper sur le volcan d’Askja, nos premiers dénivelés depuis notre départ. Malgré la belle épaisseur du brouillard qui nous cache tout ce qui se trouve à plus de vingt à trente mètres autour de nous, le chemin n’est pas difficile à suivre, des petits poteaux jaunes fluo se dressent tous les dix mètres et indiquent le sentier.

Cratère d’Askja

Le vent monte, la température baisse, la neige fait son entrée. Tombant face à nous et à l’horizontale, elle nous fouette le visage. Par une telle météo, ce paysage apocalyptique aux couleurs invraisemblables nous donne une impression de fin du monde, comme si l’enfer surgissait du sol… D’un coup, un bloc rocheux d’une quinzaine de mètres de haut se laisse légèrement découvrir dans la brume, laissant apparaître une silhouette venant des profondeurs de la terre… Celle du Diable… A cet instant, nous comprenons pourquoi pendant des siècles l’Islande a été considérée comme la porte des enfers.

Nous passons à 1205 mètres d’altitude le col de Jonsskard après trois heures de montée. Devant nous s’étend l’immense cratère du volcan d’Askja caché par le brouillard. Une fois descendu dans le cratère, il n’y a plus de petits poteaux jaunes pour indiquer le cap à suivre pour rejoindre le lac. Déjà pendant la descente, les quelques poteaux restants étaient arrachés du sol : nous les avons replantés afin de montrer la route aux deux compères qui nous suivent. Nous cherchons un bon moment notre chemin, ne sachant pas trop quelle direction prendre. Le fond du cratère est immensément grand, je suis un peu déboussolé et la faible visibilité n’arrange rien. Nous choisissons un cap vers ce qui nous semble être un lac au loin, traversant ainsi en ligne droite le volcan dans un dédale de roches chaotiques entrelacés de crevasses. Mais plus nous avançons, plus le lac flou semble s’éloigner. Il nous faudrait des heures, voir des jours pour l’atteindre… Et, est-ce bien un lac ?

Nous pénétrons dans une petite crevasse afin de pouvoir déplier la carte à l’abri de la petite tempête qui sévit. J’analyse la carte et calcule les distances au GPS…

– Immense… Immense…

Je n’ai que ce mot à répondre à Philippe, je ne m’attendais vraiment pas à un cratère si grand. Il va nous falloir encore plusieurs heures pour rejoindre le bord du lac ! Mais j’arrive déjà un peu mieux à nous situer et à avoir une idée de la route à suivre. Nous faisons demi-tour pour longer la crête du cratère en contrebas. Nous traversons plusieurs névés, et du coup, j’ai peur que nos deux amis suivent nos mauvaises traces. J’inscris donc dans la neige « Pas bon » et dessine une flèche avec la direction à suivre.

Cela m’inquiète un peu, je ne marche pas l’esprit tranquille. Surtout que c’est moi qui leur ai indiqué cet itinéraire hier au refuge… Et si Philippe et moi sommes bien équipés et prêts à faire face au pire, je ne sais pas ce qu’il en est pour Marie et Vincent. En plus ils ont prévu de faire un aller-retour jusqu’au lac et n’ont pas du coup leur matériel de bivouac. Je doute qu’ils aient le temps de rentrer au refuge avant la tombée de la nuit… Il n’est pourtant que dix heures du matin.

Puis je les aperçois au loin, descendant du col. Nous crions fort tout en nous agitant. Avec nos vestes rouge vif, ils ne peuvent pas nous rater, ça devrait être bon pour eux maintenant. Mais en fait, nous apprendrons deux jours plus tard, que finalement, ils ont bien trouvé le mot dans la neige, entendu nos cris, mais n’ont pas réussi à nous voir. Ils ont fait demi-tour après plusieurs heures d’errances.

Nous continuons l’esprit tranquille et en suivant un itinéraire dont nous sommes sûrs maintenant. Toujours par une météo digne de cette terre, l’Islande nous montre enfin son vrai visage. Mais cela ne nous empêche toujours pas de crier haut et fort : « C’EST ENCORE TROP FACILE ! »

Lac Viti dans le cratère

Il est midi lorsque nous rejoignons les bords du grand lac de Öskjuvatn. La tempête s’est arrêtée, mais il pleut maintenant, alors nous restons près d’une heure et demi sous la tente pour manger et nous reposer en attendant une meilleure météo. Par miracle, le soleil revient, offrant un beau panorama sur le lac et l’ensemble du cratère. Amenant avec lui aussi une vingtaine de personnes débarquées en 4×4 depuis Dreki. Certains d’entre eux sont déjà à l’eau : une eau à 25°C d’un petit lac se trouvant juste à côté, dans la caldera du cratère de Vìti. Elle offre une vue époustouflante, une couleur turquoise plongée dans un cratère ocre et orange d’où des fumerolles de souffre s’échappent tout autour. Le cadre est vraiment idyllique et nous n’hésitons pas, malgré une descente délicate dans la boue pour y accéder, à nous mettre à l’eau en adoptant ce qui semble être la tenue réglementaire, « le tousse à poil ». Enfin, sauf Philippe qui garde son slibard qui pendouille et qui ne ressemble à rien. Je suis mort de rire, au point que j’en bois la tasse, beurk… L’eau a un goût d’oeuf pourri. En plus, c’est bien plus agréable comme ça, des petites bulles de souffre remontent à la surface et viennent chatouiller les fesses au passage.

Nous rejoignons en fin d’après-midi le camp de Dreki par la piste. Il est composé de la maison des gardiens, d’un dortoir, d’un bloc sanitaire et surtout d’une pièce chauffée pour la cuisine. Pour le camping… C’est là où il y a le moins de pierre et à l’abri du vent. Nous passons la soirée dans ce petit réfectoire, au chaud à défaut de se faire une grosse galtouse. Finalement notre régime alimentaire est un peu juste par rapport aux efforts fournis, la faim arrive…

Jour 5 – 26 juillet 2007
Camp de Dreki – Bivouac à Flæõur

Journée : 8h55 – 17h15
Temps : 6h20 (3h+3h25)
Distance : 35 km
Dénivelé : +150m/-140m

Oups, nous avons loupé le réveil, faut dire que nous sommes un peu fatigués ce matin. C’est dur de sortir des duvets, même s’ils puent le souffre, souvenir de notre baignade d’hier. En plus, il fait bien froid, 4°C dans la tente. Heureusement des voisins qui dorment dans le refuge nous offrent une tasse de thé.

La route se poursuit sur une longue piste bien droite, plate, raplapla, dans le sable noir, mou, en pleine zone désertique. Il n’y a rien, que du sable qui s’étend devant nous à perte de vue. Je caille ce matin, le vent souffle, je n’arrive pas à me réchauffer. Alors je marche vite, très vite, au moins du 7 à 8 km/h avec le vent dans le dos, sans parler, sans me retourner, tête baissée… Puis je m’aperçois que du coup j’ai perdu Philippe, il est une bonne centaine de mètres derrière moi. Au bout de deux heures, je ne suis toujours pas réchauffé, contrairement aux jours précédents. Je sors ma polaire. Depuis le début je marchais avec mon t-shirt à manches longues et ma veste, mais ce n’est plus suffisant. Ca va tout de suite mieux… Nous faisons notre pause du matin comme deux miséreux, assis sur le sable l’un contre l’autre, au milieu de nulle part avec nos sacs à dos collés à nous pour nous protéger du vent, tout cela pour manger cinquante grammes de cacahuètes en moins de trois minutes.

Après un virage, l’un des rares de la journée, la piste continue, toujours en ligne droite, toujours plate, toujours avec le vent et avec en prime un peu de pluie et de grêle. A midi, nous montons la tente pour nous protéger des intempéries et nous reposer un peu. Nous en profitons pour mettre notre dernier vêtement sous notre sur-pantalon, le collant. Maintenant, c’est officiel, il fait froid ! Nous sommes au cœur de l’Islande. La tente est bringuebalée dans tous les sens. Nous traînons, en espérant que la météo se calme pour ne pas à avoir à la replier sous ce vent. Ne se passant rien, nous mettons au point une opération commando avant de s’en extirper, chacun sort par sa porte puis :

1. Retirer les sardines son coté.
2. Retirer la toile extérieure.
3. Philippe range la toile et Simon retire les arceaux.
4. Retirer les sacs à dos de la tente.
5. Simon range la toile intérieure et Philippe range les arceaux.

En quelques minutes, tout est bouclé. Il faut dire que nous avons opté pour un système de rangement des toiles assez rapide. Plutôt que d’utiliser leurs housses de rangement, nous avons pris des filets plus grands. Cela nous permet de mettre les toiles sans avoir à les plier et les compresser, ce qui aurait était de toute façon mission impossible avec ce vent, mais directement en vrac. Et les filets ont le deuxième avantage d’aérer les toiles lorsque celles ci sont mouillées. Par contre le volume final est un peu plus important que si elles étaient correctement pliées dans leurs housses.

L’après-midi est bercée sur le même rythme que la matinée, encore cette ligne droite sableuse, interminable. Seule notre rencontre avec deux randonneurs Allemands, après avoir cru à un mirage, vient troubler cette étape. Ils effectuent une traversée Ouest-Est, et ils sont passés par le refuge que nous visons pour demain soir. Apparemment, nous y trouverons de l’eau, ouf, c’était notre dernière zone dite « sèche », nous n’aurons plus de réserve à porter.

Pause en plein vent

Ne trouvant pas d’endroit convenable pour le bivouac, nous continuons à marcher, la météo est meilleure et nous ne sommes pas fatigués, il faut en profiter. Plus loin, à proximité de gros blocs rocheux, nous installons le bivouac. Les roches ne nous protégeront pas du vent, mais juste à coté se trouve une dizaine de rondins de bois peint, que font t’ils là ? Aucune idée, mais ils me seront bien utiles pour amarrer solidement la tente au sol. Dans les régions venteuses, je prends toujours la peine de bien border la tente avec ce que je trouve : des pierres, du sable, du bois pour ne pas que le vent s’engouffre. En me voyant, Philippe appelle ça : « faire le maçon ». Jusqu’à maintenant, ma maçonnerie a tenu bon, espérons que cette fois-ci, il en sera de même, le vent est assez violent ce soir.

Jour 6 – 27 juillet 2007
Bivouac à Flæõur – Refuge de Kistufell

Journée : 8h10 – 13h50
Temps : 3h55 (3h+0h35)
Distance : 17 km
Dénivelé : +330m/-95m

Après un départ dans un vent glacial, nous approchons d’une belle langue glacière issue du grand glacier de Vatnajökull. Avec une superficie égale à celle de la Corse, il est l’un des plus grands glaciers d’Europe. La piste de sable se poursuit tout en longeant ce magnifique glacier et avec une vue exceptionnelle sur le volcan de Kistufell culminant à 1444 mètres.

Le soleil étant de retour, nous en profitons pour faire une sieste sous ses chauds rayons à midi. Nous enmagasinons ainsi un peu de chaleur, mais tout en gardant sur nous polaire et veste pour se protéger du souffle froid. En Islande, nous avons droit à de gros écarts de température, nous passons rapidement d’une température ambiante de -2°C à 20°C et d’une eau à 2°C à plus de 55°C (Limite de notre thermomètre).

Refuge Kistufell

Trois kilomètres plus loin, nous arrivons, sous la pluie et la neige mais de bonne heure au refuge non gardé de Kistufell. Un peu moins luxueux que les deux premiers (nous devenons vite difficiles) mais il est tout de même très correct. La mauvaise surprise est plutôt qu’il n’y a pas d’eau dans les environs, contrairement aux indications des Allemands que nous avons croisés hier. Nos réserves étant vides, il nous faut trouver une solution.

Nous sortons bassines, sceaux, gamelles que nous trouvons dans le refuge pour les installer sous les gouttières afin de récupérer l’eau de pluie. Quand l’averse se calme, nous en profitons pour aller explorer l’autre versant de la colline qui surplombe le refuge. Le panorama est magnifique, mais il n’y a pas d’eau. Heureusement, il pleuvra toute la soirée, ce qui nous permettra d’en avoir suffisamment.

Nous retrouvons nos petits Lyonnais. Avec Philippe nous sortons enroulés dans des couvertures pour les accueillir, ils sont l’air bien fatigué. Nous passons une bonne soirée tous les quatre autour du feu… du réchaud… Au moment de nous coucher, nous sommes rejoins par huit Slovaques qui débarquent avec des monstrueux 4×4.

Jour 7 – 28 juillet 2007
Refuge de Kistufell – Bivouac à Vonaskarrð

Journée : 7h10 – 18h
Temps : 8h55 (3h45h+2h+3h10)
Distance : 34 km
Dénivelé : +480m/-450m
Nb de Gué : 4 en 60 min

Levés à six heures, nous quittons le refuge dans le brouillard et le froid. Avec Philippe, nous partons devant, en pensant que Marie et Vincent nous rejoindront à la petite cabane qui devrait être à deux heures d’ici. Nous marchons en fait pour une longue, très longue marche dans un paysage lunaire, des dizaines de cairns se dressent de chaque coté de la piste. La cabane où nous voulons faire notre pause est en réalité bien plus loin que nous le pensions. Nous repoussons ainsi notre pause matinale de virages en virages, de buttes en buttes, de rochers en rochers… Lorsque nous y arrivons vers onze heures, nous nous retrouvons non pas face à une cabane comme indiquée sur la carte, mais devant un chalet privé ! Nous pensons que c’est raté pour manger nos cacahuètes à l’abri… Et nous n’osons pas trop entrer. Mais la petite famille slandaise qui l’occupe nous propose d’entrer quelques minutes… Nous y resterons plus d une heure !

Ils nous expliquent qu’ils sont co-propriétaires du chalet avec d’autres Islandais et qu’ils viennent chacun leur tour passer des vacances ici, isolés de tout. Ils sont du coup ravi de voir passer des randonneurs. Nous voyant manger nos pauvres cacahuètes tout en discutant, ils nous proposent du pain, du fromage, du beurre, du gâteau aux chocolats, des spécialités locales comme le mouton fumé et le poisson séché. Mais ne voulant pas passer pour des morfals, nous restons bien élevés et nous ne piochons que délicatement sur l’étendue de nourriture qui nous est proposée. Alors que nous serions capables d’engloutir toutes les réserves se trouvant dans leur cuisine. Nous les quittons en les prévenant que deux autres gloutons devraient suivre.

Passage à gué

Une fois à l’extérieur, nous évitons notre énième gué. L’opération est de plus en plus délicate, et nous sentons bien que pour les prochaines rivières, nous allons finir par faire trempette. Puis nous quittons la piste pour prendre en direction du Sud-Ouest, pour rejoindre un col au Sud du glacier de Tungnafellsjökull. Nous n’avons guère plus d’informations, et au chalet, les Islandais ne connaissaient pas ce passage que nous comptons prendre. Cette partie de l’itinéraire est le point d’interrogation de notre traversée.

Pendant que nous traversons un champ de pierres au sol mou, j’aperçois au loin deux randonneurs. Nous changeons donc légèrement notre cap pour les croiser, car je suis sûr qu’ils pourront nous renseigner sur la suite du parcours. Ce sont à nouveau deux Allemands qui viennent de passer ce fameux col. Ils nous donnent quelques brèves indications sur notre carte au 1:300 000, ce qui est déjà pas mal. Et alors que nous leurs annonçons qu’à partir de maintenant ils n’auront plus de gués à traverser (leurs visages s’illuminent) eux nous disent que notre premier nous attend à cinq cents mètres.

Le voilà, notre premier gué, celui que nous attendons depuis une semaine, excitation, crainte, qui va se lancer le premier ? Comme aujourd’hui, c’est à mon tour d’avoir l’appareil photo, c’est Philippe qui va inaugurer le premier passage à l’eau pour que je puisse immortaliser ce moment tant attendu. Nous retirons chaussures, chaussettes, sur-pantalon, remontons le collant le plus haut possible et enfilons nos petits chaussons nautiques. A regarder Philippe traverser, je me dis que l’eau ne doit pas être très chaude. Je l’observe avancer délicatement, hésitant, cherchant le meilleur passage, essayant de ne pas glisser ou d’être déséquilibré par le petit courant. Quand vient mon tour, je commence également en douceur, mais au bout de quelques secondes, quand je sens le froid monter, congeler mes pieds comme s’ils étaient prisonniers par de la glace, j’accélère. L’eau est tellement glaciale (indiqué à 2°C par notre thermomètre) que j’en viens à crier des insultes, pu*** #!!@&?. Le temps de réchauffer nos pieds et de remettre nos chaussures, le passage du gué nous a pris vingt minutes. Nous en passerons d’autres dans l’après-midi, soit quatre gués au total, dont deux qui nous arriveront aux genoux.

Nous suivons les traces des Allemands que nous perdons,puis retrouvons au hasard de la journée et notamment lors de passages de gué. Puis nous en trouvons d’autres, celles des « Hongrois » comme nous les avons surnommés, car nous savons que deux Hongrois nous précédaient il y a quelques jours. Peut être est ce leurs pas que nous voyons. Finalement, nous faisons nos propres traces dans ce paysage époustouflant, et même s’il fait bien froid, le ciel bleu nous permet d’admirer sous un angle différent d’hier mais tout aussi magnifique le grand glacier de Vatnajökull.

Bivouac à Vonaskarrð

Nous installons le bivouac face à ce glacier, avec le hublot de la tente orienté dans sa direction. Nous stoppons là, surtout à cause du grand gué qui nous attend. Long et triple, nous préférons le passer à la fraiche demain matin et nous n’aurons pas du coup à déchausser. Nous partirons directement avec nos chaussons. Mais l’emplacement nous a été aussi imposé, car Philippe ressent d’un coup une douleur violente à la cheville et il ne peut plus marcher… Nouvel élément qui surgit et plutôt inquiétant, alors que nous sommes en plein milieu de notre traversée. Heureusement après examen, rien de grave et c’est une douleur que je connais pour l’avoir déjà éprouvée lors de ma Transalpine. Chaussures neuves, encore trop rigides et la couture qui vient frapper sous la malléole. Je lui explique comment il faut remédier à cela rapidement pour ne pas aggraver la situation. Demain, il devra donc desserrer et écarter complètement toute la partie haute de la chaussure et enrouler sa cheville avec son foulard.

Le soir nous profitons du ciel dégagé, pour repérer les montagnes que nous devons passer demain et essayer de localiser le col que nous avons à franchir, car la carte ne nous est pas d’un grand secours. En espérant que le brouillard ne sera pas de la partie demain matin.

Une fois dans nos duvets, nous adoptons la technique « connerie » pour nous réchauffer. Le but étant de sortir le plus d’âneries possibles et de rigoler un maximum…ce qui réchauffe rapidement l’intérieur de notre tente et la transforme vite en sauna.

Jour 8 – 29 juillet 2007
Bivouac à Vonaskarrð – Camp de Nýidalur

Journée : 7h20 – 15h45
Temps : 6h25 (3h45+2h40)
Distance : 17 km
Dénivelé : +555m/-700m
Nb de Gué : 3 en 35 min

Miracle, nous nous réveillons avec un ciel quasiment bleu. C’était rare ces derniers matins, et s’il fallait un jour comme celui-ci, c’est bien aujourd’hui. Et heureusement car dans le cas contraire, je ne suis pas sûr que nous aurions réussi à trouver le passage. Car il n’y a ni sentier, ni balisage, ni poteau, ni même un cairn…

Nous commençons la journée par le passage d’un triple-gué. C’est-à-dire que nous avons trois ruisseaux successifs qui nous attendent, sans rechausser nos chaussures entre chacun, et sans se sécher et réchauffer les pieds. Mettre les pieds dans une eau à 2°C n’a rien d’agréable, alors au petit matin, c’est horrible ! Je ne tiens pas plus de quelques secondes avant d’hurler, mes pieds changent de couleur à vue d’œil, j’essaie d’accélérer, mais il ne faut pas perdre l’équilibre avec le petit courant. Put*** que ça caille !!!! Ouf enfin le bord… Voilà le premier de passer, il en reste encore deux. Et pourtant, il ne faut pas plus de trente secondes pour en traverser un. Une fois le troisième franchi, je jette mon sac à terre, m’assois dessus et attrape ma serviette qui est à portée de main pour frictionner mes orteils.

L’Eggia

Après un nouvel examen de la carte, nous localisons le Mont Eggia qui culmine à 1272 mètres et qui est le point le plus haut de cette petite chaîne. Le col de Vonarskarð à 1170 mètres que nous devons franchir se trouve au Nord-Est de l’Eggia. En dehors du fait de savoir que l’Eggia est le sommet culminant du secteur, les Allemands nous ont indiqué qu’il y avait des sources chaudes à proximité. Il s’agit de la zone géothermique de Vonarskarð. Nous partons donc à la recherche d’un itinéraire qui nous permettra de grimper sur les hauteurs tout en essayant de localiser ces points chauds.

Lorsque les fumerolles sont à portée de vue, nous n’avons plus de doute sur notre position, c’est le bon itinéraire. Des fumées s’échappent du sol tout autour de nous, le sol jaune de souffre et sillonné par des ruisselets d’eau bouillonnante, trop chaude pour y tremper les pieds. Elle s’écoule le long de la montagne, où à proximité s’étendent des mousses vertes fluorescentes, un véritable décor irréel. Ce paysage superbe de cette zone géothermique, aux couleurs variées et vives, est certainement le plus beau panorama de notre traversée.

Au col de Vonarskarð, nous montons un cairn en espérant qu’il puisse être vu d’en bas afin d’indiquer l’itinéraire aux prochains qui passeront.

Nous descendons le col sur son autre versant, en suivant une moraine sulfureuse aux couleurs ocres, jaunes, blanches, qui nous conduit dans une petite vallée tout aussi sulfureuse et étroite, isolée, abandonnée, comme si personne n’était jamais passé ici. Nous suivons le court d’eau qui s’écoule dans son fond. Au bout de cette petite vallée, je pensais avoir à franchir un autre col, mais en fait nous nous retrouvons en surplomb de la vallée de Nýidalur (ou Jökuldalur). Dans la théorie, il nous suffit de descendre, mais nous sommes sur un à-pic, et le cours d’eau chute dans une cascade, impossible pour nous de passer par là. Deux solutions s’offrent à nous, soit nous passons sur l’arête de Mjohals qui se trouve coté Sud de la vallée, soit à flanc de montagne juste en dessous de la crête Nord. Les Allemands laissaient supposer qu’il fallait plutôt passer par le Sud, mais il faut pour cela contourner un sommet qui nous cache la vue. Du coup, n’étant pas surs que ça passe, nous optons pour l’itinéraire par le Nord qui nous plait davantage et qui est bien plus court. Nous longeons donc en devers le flanc de montagne, en léger contrebas de la crête. Mais nous nous retrouvons vite bloqués par des moraines, des névés instables, des à-pics… Nous sommes obligés de reprendre de l’altitude vers la crête. Puis une fois passés au dessus des obstacles, nous reperdons de l’altitude. Nous continuons ainsi jusqu’au dernier obstacle, impossible de le contourner, et de toute façon, après c’est pire.

Pour avoir fait plusieurs randonnées ensemble, je n’ai aucun doute sur l’endurance et la résistance physique de Philippe, c’est pour cela que je l’ai choisi comme équipier. Mais même s’il est un habitué de la montagne, nous n’avons jamais passé de passage « technique » ensemble. En plus de cela, il a toujours sa chaussure desserrée due à la douleur de la malléole. Après nous être débarrassé de nos bâtons, je passe devant et j’essaie de trouver le meilleur passage dans cet éboulis de pierres, dans une pente d’environ 60°, où chacun de nos pas lourds dûs aux sacs à dos créent une dégringolade de cailloux. Nous avançons comme cela de palier en palier chacun à notre tour. Au passage le plus pentu et la plus glissant, je crains que la cheville de Philippe ne soit un élément de trop à gérer. Je lui demande donc de se débarrasser de son sac et de me le faire glisser. Une fois ce petit passage (qui nous fait descendre de 250 mètres) franchi, nous nous retrouvons dans la vallée de Nýidalur.

Cette vallée est un petit paradis au milieu d’un grand désert. Fleuri, verdoyant, renfermant une palette de couleurs, du vert au violet, en passant par le blanc et le jaune. L’eau s’écoule paisiblement, les rayons du soleil emprisonnés dans cette vallée en réchauffent l’air. L’Islande est devenue agréable, au point que nous nous accordons une longue sieste. Allongés des plus simplement dans une herbe mœlleuse, à savourer cette chaleur. Un peu plus, nous pourrions bronzer si nous n’étions pas emmitouflés dans nos couches de vêtements… ça reste l’Islande, nous sommes tout de même sur le 66e parallèle.

Quelques mètres avant d’arriver au camp de Nýidalur, l’eau qui coulait si paisiblement, nous oblige à nous déchausser pour notre quatrième gué de la journée. Ces derniers mètres sont aussi source d’une angoisse qui refait surface. Notre ravitaillement à t-‘il bien été livré ? Nous ne pouvons continuer sans ! Philippe entre dans le refuge, à la recherche du gardien. Je l’entends alors crier, c’est bon ! La bouffe est là !

Refuge de Nyidalur

Alors qu’il pleut des cordes à l’extérieur, j’écris mon journal au chaud. Philippe vient me voir et me dit :
– Je discutais avec les deux Suisses la bàs, c’est une mère et sa fille qui voyagent en 4×4, et elles nous proposent une côtelette à partager, ça te dit ?
– Euh…. Ca fait juste une semaine que je crève la dalle, je peux attendre encore un peu… Bien sûr que ça me dit !

En plus de la côtelette, nous finissons les restes de la semaine afin de ne pas nous alourdir pour les jours prochains, c’est un vrai festin de roi pour le souper, nous mangeons enfin à notre faim. Le soir, profitant d’être au chaud et à l’abri, nous veillons autour d’un Uno avec les Suisses et nos Lyonnais que nous avons retrouvés.

Jour 9 – 30 juillet 2007
Camp de Nýidalur – Bivouac à Austurkðkurnyrðri

Journée : 8h40 – 16h30
Temps : 6h05 (3h20+2h45)
Distance : 28 km
Dénivelé : +340m/-435m

Pour le petit déjeuner, nous avons du rab avec les restes des derniers jours. Nous partons en même temps que Marie et Vincent, faisant ainsi les premiers kilomètres ensemble. Nous empruntons la piste qui descend vers le Sud et qui est assez fréquenté par les 4×4 et les bus. En plus de cela, le temps est gris, les nuages sont bas et le vent souffle. La journée ne s’annonce pas vraiment exceptionnelle.

Cette journée monotone ne nous inspire pas, nous marchons des heures durant sur cette longue ligne droite, tête baissée en rêvassant, pour se protéger du vent qui souffle de plus en plus fort. Ce paysage vallonné, recouvert de pierres grises semble fade par rapport à celui d’hier.

Attention au gué

Heureusement, le miracle se produit en fin de journée, nous trouvons un emplacement calme pour le bivouac. Nous nous arrêtons dans le nid d’une rivière qui coule très faiblement, nous sommes ainsi à l’abri du vent, loin de la piste et l’eau est à disposition. Rejoins par nos amis, tout le monde est bien fatigué par le vent et la circulation. A vingt heures, le sommeil nous emporte.

Jour 10 – 31 juillet 2007
Bivouac à Austurkðkurnyrðri – Grange de Versalir

Journée : 8h15 – 15h05
Temps : 4h55 (3h30+1h20)
Distance : 25 km
Dénivelé : +290m/-370m
Nb de Gué : 1 en 20 min

Il y a bien plu cette nuit et le réveil est à la fraîche. Comme d’habitude, nous prenons le petit déjeuner dans la tente, au chaud à l’intérieur du duvet. Le ciel est toujours gris, je sens venir la journée de merde n°2.

Nous prenons la route quinze minutes après nos deux compères. Mais à la différence que, une fois sortis de notre rivière, nous ne reprenons pas la piste qui forme un immense « S ». Nous préférons prendre la ligne droite, même si au bout, nous ne sommes pas surs que l’itinéraire soit plus court, nous serons au moins loin des 4×4. Nous suivons des petits poteaux oranges, qui les a posés là, qu’indiquent t’ils ? Où vont-ils ? Nous n’en savons rien, mais hier déjà, nous en avons suivis quelques uns, et l’itinéraire était dans ces cas toujours plus sympathique que la piste.

Le vent se faisant plus discret, la température au soleil monte vite, nous retirons les polaires que nous avons sur le dos depuis Dreki, en pensant qu’une belle journée s’annonce et que finalement nous n’aurons pas une nouvelle journée merdique. Mais en réalité, c’est le début de la journée galère. A peine dix minutes après avoir retiré les polaires, le vent reprend de plus belle, souffle fort, la température chute et il se met à pleuvoir. Et c’est là que nous tombons face à un gué alors que nous sommes déjà frigorifiés. Je n’ai vraiment pas envie de mettre les pieds à l’eau. Vite, il faut se rhabiller.

Hors piste

Nous passons devant une petite cabane qui n’est pas indiquée sur notre carte. Nous nous y arrêtons pour mettre un mot dans le livre d’or et lire les derniers messages déposés. Apparemment une personne a dormi là cette nuit, elle doit être à quelques heures devant nous.

Le vent souffle de plus en plus fort. A midi, nous montons la tente pour nous reposer et nous abriter de celui qui nous fatigue. Mais dans cette plaine sans relief, qui s’étend à perte de vue, il n’y a aucun coin pour monter notre toile à l’abri du vent. Nous galérons pendant vingt minutes et nous nous y reprenons à deux fois pour monter la tente. Et encore, elle a une drôle de forme. Alors qu’habituellement, l’affaire est bouclée en cinq minutes. Nous mangeons comme des miséreux, mouillés et tremblotants de froid. Avec cette force de la nature qui souffle à au moins cent kilomètres heure, nous procédons une nouvelle fois à notre opération commando « pliage de tente ».
Le vent souffle si fort, heureusement dans notre dos, qu’il faut presque se freiner avec nos bâtons lorsque nous marchons, nous avançons plus vite que les jambes n’arrivent à suivre.

A marcher vite, propulsés par le vent du Nord, nous arrivons de bonne heure à Versalir. Il est quinze heures lorsque nous retrouvons Marie et Vincent devant la grange. Ils ont suivi la piste toute la journée et du coup, ils ont parcouru bien plus de kilomètres que nous qui avons tiré la ligne droite. Contrairement à nous qui nous sommes arrêtés près d’une heure trente le midi, eux ont marché toute la journée et ne posant qu’un petit quart d’heure. Cela se voit aux visages qu’ils en ont bavé aujourd’hui… Merci les poteaux orange !

Ici, c’est la zone ! C’est pire que ce que nous pensions. Indiquée comme une station service sur notre carte, elle semble fermée depuis des siècles. La grande bâtisse qui doit servir de refuge est également fermée, seule la petite grange qui sert de box à chevaux est ouverte.

Marie et Vincent, fatigués, se voient mal dormir dans le foin, ils partent donc inspecter les fenêtres de la maison, en espérant en trouver une mal fermée. Philippe et moi préférons rester dans la grange. Mais nous observons la scène par le hublot de la porte. Cela nous fait une petite distraction, c’est notre feuilleton du soir. L’une des fenêtres leur fait grâce, pendant que Marie tient la fenêtre, Vincent pénètre à l’intérieur. Puis il va lui ouvrir la porte. Une fois qu’ils ont tout deux pénétré, il ne se passe pas cinq minutes avant qu’une camionnette avec une grosse remorque débarque. Marie sort calmement par la porte, puis petit à petit, elle accélère pour finir par courir en direction de la grange. Pendant ce temps Vincent saute par la fenêtre et prend les jambes à son coup. Avec Philippe nous somme pliés de rire de les voir s’enfuir comme cela et attendons avec impatience la suite du spectacle. Une personne sort de la camionnette et fait le tour du bâtiment en courant, puis en direction de la grange. Il ouvre la porte, surpris de voir quatre randonneurs avec des gros sacs au milieu de nulle part, il nous dit avec un accent Américain :

– Bonjour… Qu’est ce vous faites là ?
– Nous traversons l’Islande.
– A pied ?
– Oui, depuis Myvatn.
– Bien ! Euh… Vous savez s’il y a des toilettes ici ?
– La petite cabane là bas, ça doit en être.
– Ok, merci.

Il part en sprint, face au vent qui souffle toujours aussi fort, en direction de la cabane, il court si vite, que nous réalisons que nous venons de rencontrer en chair et en os le vrai Flash Gordon. Il rentre dans les toilettes, puis en ressort aussi tôt pour repartir de plus belle en direction de son fourgon. Là, il sort un petit rouleau rose et retourne en direction des toilettes en battant un record du monde du cent mètres. C’en est trop, nous ne pouvons même plus parler tellement Philippe et moi sommes tordus de rire. Quelques minutes plus tard, lorsqu’il en sort soulagé et voyant que nous l’observons par notre hublot, il nous fait un petit signe de remerciement de la main. C’est le coup de grâce, j’en attrape des crampes aux abdominaux tellement la scène que nous observons est des plus comiques.

Grange de Versalir

Alors que nos amis s’installent finalement dans la bâtisse, nous préférons nous installer dans le foin. Nous confectionnons un petit canapé pour le souper, qui se transformera en lit bien confortable pour la nuit. Cette nuit est une nouvelle fois interrompue par la visite d’une personne qui me réveille pour me demander s’il peut dormir ici… Euh encore dans mon sommeil, je ne comprends rien à ce qu’il me dit, et je ne sais même pas en quelle langue je lui réponds, je me retourne et me rendors.

Jour 11 – 1er août 2007
Grange de Versalir – Bivouac au lac de Króskslón

Journée : 8h05 – 17h25
Temps : 8h05 (3h10+4h20)
Distance : 36 km
Dénivelé : +725m/-805m

La nuit a été bien reposante, heureusement car le vent souffle toujours sans relâche. A l’extérieur se trouve la tente de nos visiteurs de la nuit. A la voir et aux chaussures que j’aperçois, il s’agit nul doute de MUL (des personnes adeptes à la marche ultra légère). Nous les laissons dormir et partons cinq minutes après nos comiques de la veille. Une nouvelle fois, nous ne suivons pas la piste et décidons de prendre plein Sud en hors piste. Ainsi en gardant ce cap, nous gardons en permanence le vent dans le dos.

Nous marchons ainsi toute la journée en dehors des sentiers battus, coupant à travers un paysage lunaire. Vallonné, gris de ses pierres parsemées sur un terrain tendre avec quelques touffes d’herbes vertes. Nous passons collines, dunes de sables, lacs… Le vent souffle en permanence, mais nous trouvons des abris bien au chaud pour nos pauses.

Bivouac au lac Króskslón

Au bout de trente six kilomètres nous posons le bivouac dans un cadre magnifique avec une vue sur le lac de Króskslón qui se trouve à proximité et sur les montagnes de Landmannalaugar.

Jour 12 – 2 août 2007
Bivouac au lac de Króskslón – Camp de Landmannalaugar

Journée : 8h – 17h15
Temps : 7h15 (3h40+3h35)
Distance : 30 km
Dénivelé : +530m/-455m

Grand ciel bleu ce matin sur 360°, c’est la première fois, il a encore un peu de vent mais beaucoup moins que les jours précédents. Après avoir passé le pont qui permet de passer les eaux qui s’écoulent du lac de Króskslón pour alimenter une centrale hydro-électricité, nous regagnons la piste qui mène au camp de Landmannalaugar. Du coup la circulation de 4×4 est redevenue plus importante. Nous essayons de la quitter dès que nous le pouvons, mais le choix d’itinéraires qui s’offre à nous est limité, bloqué par les montagnes. Le soleil cogne et le vent est tombé. Couvert comme nous le sommes, nous avons vite très chaud. Ayant perdu l’habitude de transporter beaucoup d’eau, nos réserves s’épuisent vite. La soif se fait sentir.

Nous longeons la rivière de Tungnaà pour entrer dans la réserve de Fjallabak. Nous découvrons alors petit à petit le paysage et les couleurs typiques tant attendues de Landmannalaugar. Nous pénétrons dans cette beauté naturelle avec d’un coté des cratères splendides comme celui de Norðurnámur et de l’autre le superbe lac de Frostastaðavatn au bleu vif. Nous empruntons la petite arête du Frostastaðaháls qui longe le lac et qui nous fait découvrir en surplomb le camp de Landmannalaugar.

Dans la multitude de tentes, je reconnais celle des MULs croisés il y a deux jours. Ce sont deux Californiens. Le mec nous reconnaît et vient nous voir :

– Bonjour, c’était bien vous dans la grange l’autre nuit ?
– Euh oui… Mais comment tu nous as reconnu, nous étions emmitouflés dans nos duvets ?!
– C’est à la couleur jaune fluo de vos housses de sac à dos.
– Ca fait longtemps que vous êtes là ?
– Quelques heures déjà. On se repose avant de reprendre la route ce soir, on aime bien marcher à la fraîche.
– Pourquoi les journées ne sont pas assez fraîches pour vous ?

Lac de Frostastaðavatn

La vache, qu’est-ce qu’ils nous ont mis ! Nous étions partis les premiers de la grange et ils sont arrivés depuis un bon moment déjà ! Ca leur réussit de marcher à la fraîche !
Puis, nous nous dépêchons d’installer notre tente, afin de passer au camion-épicerie du camp. Nous allons enfin manger à notre faim ce soir ! Les prix sont exorbitifs, mais nous ne résistons pas au pot de miel, aux biscuits… Une fois nos estomacs comblés, nous finissons la soirée dans les sources chaudes, dans ce cadre idyllique. L’eau est issue d’une petite rivière d’eau froide et d’une source chaude, nous permettant ainsi de mixer la température de l’eau et de trouver celle qui nous convient le mieux. La plus chaude !

Jour 13 – 3 août 2007
Camp de Landmannalaugar
Repos et petite balade

Il a plu toute la nuit et le vent a bien soufflé. Une vraie tempête qui m’a un peu empêché de dormir. N’ayant pas pu faire ma maçonnerie, j’étais là à surveiller que la tente ne s’envole pas pendant que Philippe dormait tranquillement avec ses boules quiès. Au réveil, la pluie tombe toujours et le ciel est bien gris. Du coup, nous ne sortons pas des duvets avant dix heures. Nous avons la flemme toute la journée, nous passons notre temps sous la tente à manger ce que nous avons acheté à la mini épicerie et à jouer au petit jeu que nous avons avec nous :le jeu des cochons.

Landmannalaugar

Vers dix-huit heures il pleut moins, nous en profitons pour nous balader deux petites heures dans le Landmannalaugar. Puis nous finissons la soirée dans la source chaude avec Marie et Vincent qui ont rejoint le camp. L’atmosphère est complètement différente : plongés dans une eau à cinquante degrés avec la brume tout autour de nous, l’ambiance est féerique.

Jour 14 – 4 août 2007
Camp de Landmannalaugar – Camp de Hvanngil

Journée : 9h – 17h40
Temps : 7h05 (2h50+4h15)
Distance : 24 km
Dénivelé : +1165m/-1200m
Nb de Gué : 2 en 25 min

Ce matin, nous avons comme qui dirait eu une panne de réveil. Mais ce n’est pas plus mal, car le ciel était bien couvert au petit matin. Le temps de replier le campement, le bleu a envahi le ciel. Nous ne regrettons pas d’avoir attendu une journée à rien faire hier. Celle d’aujourd’hui s’annonce magnifique.

Nous pénétrons dans le cœur du pays volcanique de Landmannalaugar et l’émerveillement est au rendez-vous. Le paysage est de toute beauté et les couleurs impressionnantes. Philippe bat un record de photos, mitraillant sous tous les angles, il est comme un enfant fou devant un nouveau jouet. Pour ma part, j’ai déjà eu l’occasion de voir pas mal de paysages de montagne à travers le monde, mais jamais comme celui-ci. C’est une explosion d’une fabuleuse palette de couleurs, une variété de paysages et de mystères géologiques. L’impression d’être sur une autre planète est totale.

Landmannalaugar

Nous faisons une halte paisible au soleil sur la terrasse du refuge de Hrafntinnusker avant de reprendre la route. Après avoir passé deux gués, toujours aussi froids, nous découvrons un nouveau paysage, plus vert, laissant dernière nous les couleurs ocres. Le vert est présent partout, d’une teinte exceptionnelle : tellement irréel, qu’il fait penser à des couleurs de dessins animés.

Nous arrivons au camp de Hvanngil avec le vent et le froid. Morts de faim, nous préparons rapidement les lyophilisés terrés dans un trou à l’abri du vent qui souffle. Cela fait à peine une heure que nous sommes au camp que nous nous mettons au chaud dans notre tente pour une longue soirée et une très longue nuit. Le vent soufflant de plus en plus fort, c’est maintenant une véritable tempête qui sévit à l’extérieur. Le haut de notre tente balance de gauche à droite, les parois s’enfoncent diminuant considérablement notre volume intérieur. Il est alors impossible pour nous de trouver le sommeil. Nous tenons comme nous le pouvons la tente, en appuyant avec jambes et bras la toile. Nous sommes là, à imaginer une solution de repli au cas où la tente céderait. Puis vers les trois heures du matin, nous nous laissons emporter par le sommeil en nous disant que si la tente a tenu jusqu’à maintenant, elle tiendra bien jusqu’au petit matin.

Jour 15 – 5 août 2007
Camp de Hvanngil – Camp de Skagfjörðsskáli (Þórsmörk)

Journée : 8h25 – 17h35
Temps : 7h (2h50+4h10)
Distance : 30 km
Dénivelé : +650m/-1000m
Nb de Gué : 2 en 55 min

près cette nuit difficile, le réveil l’est tout autant. Mais heureusement, la tente a tenu le coup et le vent à diminué.
Au bout de vingt minutes de marche, nous passons une nouvelle fois un gué. Cette fois, c’est à mon tour de passer le premier. Haaaaa ! Put*** que c’est froid ! Je ne m’habituerai jamais à cette eau glaciale. Arrivé à la moitié, je m’aperçois que celui-ci est plus profond que les autres, ça ne passe pas, mince, je suis obligé faire demi-tour… Houhaa ça caille, je me sèche les pieds avant même d’expliquer mon demi-tour à Philippe…

– Qu’est ce qui ce passe ? Pourquoi tu fais demi-tour ?
– C’est plus profond que d’habitude, faut qu’on se désape.
– Même si on remonte au max le collant ?
– Oui, faut enlever le collant et le sur-pantalon.

Passage à gué

C’est ainsi que nous nous retrouvons en caleçon au petit matin dans une eau à deux degrés. J’y retourne pour un deuxième passage, j’ai les doigts de pieds en glaçons, j’ai l’impression que je les perds un par un… Quelle torture !

Nous continuons notre marche dans ce paysage de dessins animés durant toute la journée. A midi, nous répétons l’épisode d’hier matin, avec une sieste au soleil sur la terrasse du refuge de Botnar non loin du canyon de Markarfljót.

L’itinéraire de l’après midi nous offre une vue sur la langue glaciaire de Entujökull. La marche est longue sous un soleil qui cogne dès que le vent s’arrête de souffler. Petit à petit la nature revit, des arbustes apparaissent, puis des petits arbres, avant d’entrer dans une mini forêt. Nous voyons enfin des arbres depuis notre départ. Ca sent bon, c’est vert, c’est vivant… Nous avons l’impression d’avoir changé de pays. Mais les gués nous ramènent vite à la réalité. Nous passons le dernier de notre traversée. Cela devient presque une routine. Nous sommes plus rapides, plus efficaces, mais les pieds ne s’habituent décidément pas au froid…

Nous arrivons à Þórsmörk sous le soleil, c’est un vrai havre de paix, un coin de paradis et de détente aux paysages sublimes. En plus, il fait si beau que nous restons dehors jusqu’à vingt heures, il fait bon.

Jour 16 – 6 août 2007
Camp de Skagfjörðsskáli (Þórsmörk) – Cascade de Skogafoss

Journée : 8h05 – 18h25
Temps : 8h55 (3h15+2h30+3h10)
Distance : 28 km
Dénivelé : +1260m/-1465m

Bouh, il ne fait pas chaud ce matin, seulement deux degrés, et il y a même du givre sur la tente. Nous passons par le pont pour traverser la grande rivière afin atteindre le deuxième camp de Þórsmörk qui se trouve sur l’autre rive. Comme nous ne voyons pas distinctement le bon chemin à suivre à la sortie du camp, Philippe veut que nous demandions à une personne. Je lui dis alors :

– Tu sais, je n’aime pas trop demander ma route aux gens du coin, ça m’a toujours valu plus de galère qu’autre chose.
– C’est bon, celui là c’est un touriste comme nous qui randonne…

Je le laisse faire et attends à coté.

– Alors, qu’est ce qu’il t’a dit ?
– Euh, je n’ai pas tout compris, en gros c’est par là- bas.
– Dans la vallée ?
– Oui, peut-être…

Glacier de Mýrdalsjökull

Nous continuons à suivre le sentier et nous nous enfonçons dans une toute petite vallée très étroite, qui a un peu la forme d’un canyon. Nous remontons ainsi tout un cours d’eau sur un sentier agréable. Nous nous enfonçons pendant une heure dans ce canyon. Nous y croisons un Quebecois, Jean-Pierre, un peu paumé, qui nous demande si nous voyons le sentier, étant lui-même un peu à l’écart. Nous lui répondons que oui, nous le suivons depuis l’entrée de la vallée.

A peine cent mètres plus loin, nous tombons tous trois sur une impasse. Une cascade nous fait face, et il nous est impossible de passer sur les cotés. Il y a bien un gros pierrier bien raide, mais c’est trop balaise pour être l’itinéraire d’un chemin de trek si fréquenté !

Nous cherchons un bon moment, essayant d’autres itinéraires possibles, mais nous nous retrouvons toujours bloqués par des grosses parois rocheuses. La carte au 1:100 000 n’est pas suffisamment précise pour nous aider, et le GPS nous indique juste que nous ne sommes pas loin… Nous sommes tout près du chemin, mais où est- il ? Je grimpe une petite paroi sans sac pour prendre un peu d’altitude afin de voir les environs, mais rien, je ne vois aucun passage. Nous faisons donc demi-tour en direction de l’entrée de la vallée, nous avons dû louper une bifurcation.

Pendant que nous rebroussons chemin, nous apercevons des personnes sur une crête. Nous réalisons alors que nous nous sommes trompés de route dès le départ, il ne fallait pas entrer dans la vallée, mais monter sur la crête. Plutôt que de continuer à marcher sur nos pas, nous préférons grimper directement sur le flanc de la montagne pour rejoindre les personnes aperçues. La pente est raide, environ 55° sur cent mètres de dénivelé. Mais nous économisons comme cela une heure de détour. Nous n’aurions pas dû demander notre route au camp, je le savais !
Jean-Pierre compte mettre deux jours pour rejoindre Skogar, alors nos routes se séparent ici. Philippe et moi comptons toujours, malgré le petit retard que nous venons de prendre, rejoindre Skogar aujourd’hui. Il est onze heures.

Le chemin se poursuit sur la crête, puis il grimpe plus franchement sur la fin pour atteindre le col de Fimmvòrðuhàls qui se situe à 982 mètres. Il se trouve au milieu des glaciers de Eyjafjallajokull de 80 km² et de Myrdalsjökull de 600 km². Il est également pour nous la dernière frontière naturelle avant de retrouver l’océan. Pour le passage de cette longue brèche, le temps a changé, le ciel est gris, le vent est monté, la température a chuté et nous marchons maintenant sur la glace. Nous passons le premier refuge un peu à l’écart du sentier, en nous disant que nous ferons une pause au deuxième vers quatorze heures.

Ce paysage me rappelle celui que j’ai traversé pendant ma Transalpine, lorsque j’étais dans le massif glaciaire d’Ötztal en Autriche. En pleine tempête, je m’étais arrêté dans un refuge pour manger un succulent Apfelstrudel, mon péché mignon dans les Alpes orientales. J’en ai l’eau à la bouche. Je ne pense pas en trouver par ici, mais un bon chocolat chaud au coin du feu serait des plus mérités et nous ferait du bien. Grande déception à notre arrivée au refuge, ce n’est plus qu’un abri à l’abandon. Adieu feu de cheminée, chocolat chaud… Lorsque nous pénétrons à l’intérieur, c’est l’horreur. Il est complètement délabré, crade au point que je n’ose même pas poser mon sac à terre, un gros tas d’ordures se trouve à l’entrée… Tout cela engendré par les randonneurs, j’ai honte. Voilà la différence entre un abri à proximité d’une route et ceux isolés en plein cœur de l’Islande. Nous nous installons tout de même pour manger. Et nous sommes rejoins par Jean-Pierre qui a finalement continué sa route et par deux Islandais. Ils nous indiquent un itinéraire pour rejoindre Skogar, plus sympathique que la piste qui part d’ici. Plus long, mais beaucoup plus beau, au bord de la rivière qui finit son chemin dans la cascade de Skogafoss. De toute façon, après ces quatre cent kilomètres parcourus, nous ne sommes plus à une heure près.

[Youpi !

Nous retrouvons « la vie » sur notre dernière étape, le paysage est vert, des moutons broutent la pâture, l’eau coule. Le chemin est agréable et reposant pour notre arrivée à Skogafoss. Nous arrivons en surplomb de la cascade, grandiose, impressionnante, immense… L’eau s’y jette avec une force incroyable. Nous descendons à son pied pour marquer la fin de notre traversée. Nous allons au plus près de la chute, seulement à quelques mètres du cahot et nous recevons en quelques instants plus d’eau sur la tête que pendant toute notre traversée.